HISTOIRE
En 1991, plusieurs structures sociales, culturelles, éducatives du quartier Saint-Michel s’unissent pour créer le Festival du Conte interculturel Bordeaux-Saint-Michel, à l’initiative d’une animatrice du Centre d’Animation. Parmi elles, le Centre d’Animation Saint-Michel bien sûr, ainsi que ALIFS, O Sol de Portugal, Promo-Femmes…
Leur enjeu est de créer un événement dont les habitant.e.s seraient fier.e.s, un événement qui ferait venir d’autres personnes et modifierait ainsi l’image de ce quartier. Ils choisissent le conte comme objet de travail, celui-ci étant présent dans toutes les cultures et présentant l’avantage d’utiliser le vecteur de l’oralité. L’association prend donc racine dans le terreau du territoire, tout en souhaitant d’emblée s’inscrire dans un rapport au monde. Marquée pas les valeurs des personnes qui l’ont fondée, elle restera profondément attentive aux problématiques sociales et sa devise sera de “faire humanité ensemble”.
Le festival fait découvrir des conteurs et des conteuses d’ici et d’ailleurs, fédère voisins, travailleurs sociaux et personnes de tous horizons qui partagent dans la chaleur des premier jours d’été émotions artistiques et discussions de comptoir. Petit à petit, il va se diversifier et mettre à l’honneur d’autres disciplines, comme la poésie, le slam, le théâtre de rue et le récit. Il se prépare à l’année à travers des projets de territoire (bien avant que cela devienne une pratique courante) qui aboutissent au festival, ce qui lui donne de l’épaisseur et qui l’ancre davantage dans son quartier d’origine. En 2010 le festival change de nom pour embrasser toute cette diversité et s’appelle désormais “Chahuts”.
A partir de 2012 les projets participatifs prennent de l’ampleur et deviennent des véritables laboratoires d’expérimentation entre artistes, habitant·es et professionnel·elles de différents secteurs (urbanistes, professeurs, animateurs, etc.)Chahuts a une longue pratique de méthodes innovantes en ce sens, basées en grande partie sur la parole et très inspirées de l’éducation populaire. C’est donc tout naturellement qu’en 2018 Chahuts structure un volet d’actions qui regroupe l’ensemble de ces projets de territoire sous le nom de “La Fabrique de Chahuts”. C’est aussi le moment d’aller explorer un autre quartier de Bordeaux, la Benauge, qui deviendra le second quartier d’ancrage de l’association.
Au fil de ses plus de 30 ans d’existence, les mutations ont été multiples. C’est cependant toujours cette même articulation profonde entre art et politique (dans le sens d’action au cœur de la cité) qui prévaut aujourd’hui.
L’ESPRIT CHAHUTS
L’aventure Chahuts est construite avec exigence artistique et goût pour l’hybridité, le déplacement et l’inaccoutumé ET en synergie avec les personnes présentes sur les territoires.
Chahuts développe en effet son savoir-faire le plus souvent dans l’espace public et dans des lieux non dédiés et atypiques, et fait la part belle aux arts de la parole à travers :
- Un festival des arts de la parole et de l’espace public chaque année début juin : spectacles issus des arts de la parole, formes performatives pluridisciplinaires, créations, cartes blanches, projets participatifs, restitutions de la Fabrique, causeries, concerts et fêtes. Plus qu’une compilation de spectacles, il s’agit de proposer des expériences à vivre. Les artistes sont invités pour éveiller l’imaginaire et la sensibilité des participants, décaler les regards, révéler le territoire, inciter les habitants à se raconter. Le festival s’invente dans les quartiers Saint-Michel, la Benauge et au-delà.
- Une Fabrique : des résidences d’artistes au long cours dans les deux quartier d’ancrage de Chahuts, sous forme de cartes blanches en résonance avec une problématique locale ou de société, et dont le but est de générer des rencontres entres les personnes, d’impulser de nouvelles coopérations entre les acteurs de proximité et de contribuer à l’émancipation individuelle et collective, avec une attention particulière portée aux plus fragiles.
MANIFESTE
Chahuts s’adapte au visage multi-facette de ses territoires, permettant d’allier projets artistiques participatifs et dialogues entre populations qui vivent ensemble, enfants et adultes, professionnels et amateurs, fêtards et lèves tôt, à la poursuite d’un idéal : l’art comme vecteur de liens poétiques et politiques entre humains et citoyens.
Les arts de la parole et l’indiscipline
Les arts de la parole sont définis comme discipline artistique liée aux écritures et aux formes artistiques en adresse directe au public (conte, arts du récit, littérature, théâtre, slam, chanson, art sonore, poésie sonore, conférences…) mais aussi comme rapport au monde : l’art de faire circuler la parole, l’art de l’écouter, la récolter, la mettre en valeur ou l’analyser. Donner à entendre des récits, donner à voir des spectacles, mais aussi donner la parole à chacun pour inventer une relation à l’autre, se mettre au service des diversités de points de vue, de cultures, de mode de vie… Il s’agit de tenter d’ouvrir des espaces de remise en question de ce qui paraît établi. Des espaces, à la fois intimes et publics, de (re)construction de l’auto-estime et de l’esprit critique, nécessaires pour tous.
Caisse de résonance du monde
A Chahuts, les arts de la parole sont pensés et vécus comme un vecteur d’empuissancement et de déconstruction des dominations : les enjeux de représentations des paroles et des corps dans l’espace public résonnent dans les propositions artistiques, les conférences et les projets qui proposent d’écouter les paroles des invisibles et des courants qui traversent notre société du présent : la pensée décoloniale, l’intersectionnalité des luttes, l’urgence d’imaginer ensemble un monde plus respectueux du vivant, les représentations des corps et des paroles dans l’espace public sont des questionnements qui traversent Chahuts de part en part. Chahuts explore l’espace public et l’espace intime, comme autant de territoires où le corps et la parole peuvent être des vecteurs du pouvoir d’agir.
La fête
Chahuts et son festival résonnent comme une utopie concrète qui bouscule les règles du dehors et du dedans, et qui permet à chacun, artistes et citoyens, de s’emparer de la parole pour peut-être déjouer des rapports de domination, ou plus simplement rendre la vie plus intéressante que l’art grâce au collectif et y insuffler fantaisie et folie.
La dynamique Fabrique – Festival
Chahuts s’invente sur plusieurs temporalités : d’une part dans le temps long des résidences de La Fabrique, d’autre part dans le temps éphémère et intense du festival où se croisent créations professionnelles et restitutions avec les habitant.e.s. Permettre à ces temporalités de cohabiter au sein d’un même projet imprime une dynamique unique pour l’accompagnement des artistes, du territoire et de ses habitant.e.s.
Le nomadisme de Chahuts comme une force
Chahuts se déploie en itinérance, ce qui permet d’impulser une dynamique de coopérations ; beaucoup de nos actions s’inventent en collaboration avec le territoire et des partenaires, le projet s’appuie donc sur l’intelligence collective, en l’articulant aux orientations de la direction artistique impulsée par Chahuts.
Le nomadisme de Chahuts ouvre des opportunités de travailler en coopération avec des partenaires et lieux locaux culturels et sociaux, autour de propositions d’artistes de Bordeaux et de Nouvelle-Aquitaine, mais aussi nationaux pour que Chahuts reste un endroit de rencontres, d’émulation artistique, de créations.
La transmission du savoir-faire de Chahuts
Le grain de folie impulsé par Chahuts dans l’espace public et son lien historique au Centre Social de Saint Michel permet de dépasser le clivage classique entre dynamiques artistiques et actions sociales. Ce savoir-faire qui consiste à co-écrire les projets artistiques avec les habitant-e-s et pour elleux et qui se construit depuis 30 ans à Chahuts, peut rayonner et être transmis lors de rencontres avec des professionnels d’autres territoires.
Chahuts c’est un joyeux chaos organisé, le nomadisme, l’amour du risque, le goût des utopies, l’ouverture des brèches et des échappatoires . C’est transcender son terrain de jeu, au-delà des murs (de l’institution, de l’entre soi, de l’individuel) pour aller vers le frisson collectif…et ce frisson passe aussi par la fête, fédératrice, libératrice, cathartique.