Inclassable, bien qu’inscrit dans le champ chorégraphique, Michel Schweizer opère dans ses différentes créations, un croisement naturel entre la scène, les arts plastiques et une certaine idée de « l’entreprise ». Sa pratique consiste à décaler les énoncés et à réinjecter une réalité sociétale ou humaine sur scène, en admettant avec pessimisme ce qu’on ne peut admettre : les institutions culturelles et les œuvres sont une affaire de « business ». Il évite soigneusement de travailler avec des professionnels de la scène théâtrale ou chorégraphique, appelle ses interprètes des « prestataires de services » qu’il « délocalise » – puisqu’il peut tout aussi bien faire appel à un boxeur professionnel, une chanteuse de variétés, un maître-chien, un psychiatre, une danseuse de claquettes etc. – et se désigne lui-même comme manager.

Michel Schweizer n’est pas diplômé en biologie moléculaire. Ne cherche pas à «susurrer la danse à l’oreille». Ne l’a jamais étudiée à Berlin, Paris ou New York. Ne l’a pas pour autant découverte à l’âge de quatre ans. N’a toujours pas engagé de plan d’épargne logement. Ne refuse pas la rencontre. N’a pas eu la chance de d’apprécier l’évidence de « la première fois ». Ne saurait envisager son activité sans une profonde méfiance. Ne pourrait trouver d’autre mot pour définir ce qu’elle lui occasionne : du luxe. N’a toujours pas eu l’occasion de sourire de son prochain investissement : un costume Hugo Boss. Ni celle de réagir à sa paradoxale acclimatation au dehors. N’a toujours pas relu tout Deleuze. N’a pas la prétention de dire qu’il se trouve prétentieux. Ne travaille pas à «faire vibrer son sacrum». Ne suppose pas la production sans ce(ux) qui la génère(nt) et l’autorise(nt). N’a pas lu La vie sexuelle de Catherine M.. Ne feuillette que très rarement les Echos ou la tribune pour les pages publicitaires ou offres d’emploi. Regrette de ne pas avoir pu faire des études d’architecture, d’éthologie, de sciences du langage ou de design. Profite de l’enchantement que lui procure son appartenance à la « classe créative » de ce pays.

Depuis plus de quinze ans, il convoque et organise des communautés provisoires. S’applique à en mesurer les degrés d’épuisement. Ordonne une partition au plus près du réel. Se joue des limites et des enjeux relationnels qu’entretient l’art, le politique et l’économie. Porte un regard caustique sur la marchandisation de l’individu et du langage. Se pose en organisateur. S’entoure de prestataires « tendance », « confirmés » ou « déficitaires ». Provoque la rencontre. Nous invite à partager une expérience dont le bénéfice dépendrait de notre seule capacité à accueillir l’autre, à lui accorder une place. Cela présupposant ceci : être capable de cultiver la perte plutôt que l’avoir.